LA NECESSAIRE TRANSGRESSION

DANS LA RELATION AMOUREUSE

 

Michel Bonhomme

 

 

L’amour est insaisissable

L’idée que l’amour repose sur une dynamique de transgression du réel n’est pas facile à accueillir. La transgression est assimilée à faute. Elle est contraire à l’ordre. Elle parle de la désobéissance de ce qui serait interdit, immoral. Elle rejoint l’idée de perversion dans le sens du détournement des bonnes mœurs et d’ouverture à la jouissance sans limite. Et pourtant la transgression est nécessaire à l’amour. Pour bien comprendre cette nécessité nous devons tenter de définir ce qu’est l’amour. Est-ce un sentiment, un éprouvé, un désir, une jouissance ?

 

L’amour est insaisissable. Il est polymorphe. Il fait appel aussi bien à l’idée de tendresse qu’à la sexualité. On aime et on fait l’amour. A la source, il s’éprouve dans un affect du corps. Le bébé est en amour lorsque la mère entre dans le prolongement de ses désirs en y répondant suffisamment. L’amant éprouve de l’amour pour cet autre susceptible de combler ses désirs, de lui apporter de la plénitude et de la jouissance et de nourrir ses fantasmes. L’amour est un manque de l’autre, ce qui nourrit l’aspiration au rapprochement. Il repose sur la nostalgie de la fusion. Celle-ci commande chez tous les hommes les formes de l’amour et de l’érotisme. L’amour est aussi une excitation qui repose sur un fond d’anxiété ou d’angoisse généré par le fait d’être séparé de l’être aimé ou par la peur de le perdre. L’excitation s’amplifie lors du rapprochement des corps procurant du plaisir jusqu’au seuil de la décharge du trop plein d’énergie dans l’orgasme. Le sentiment d’amour est alors nourri d’une détente des corps et d’un affect de gratitude. On est dans la réjouissance.

 

L’amour est à saisir dans un processus fait de variations autour du manque, de l’excitation, du contact avec l’autre, de la décharge de la tension, du sentiment d’apaisement de soi et de la gratitude pour cet autre qui permet la jouissance et renforce le sentiment d’être aimé. Il est animé par la recherche de plaisir. Il déborde la réalité faite d’obligation, de limites, d’interdits, de responsabilité. Il se vit dans une forme de violation du corps et de l’être du partenaire à saisir.

 

L’amour repose sur une violence fondamentale.

L’amour érotique est paradoxal. Il se nourrit de cette violence fondamentale qui vise à absorber l’autre et à le violenter, de cette impossible dissolution de la frontière qui sépare les amants. Celle-ci se fonde aussi bien sur les différences physiques, dans les représentations du monde et dans les comportements de chacun.

 

C’est une sorte de mise à nu de soi dans l’expression la plus archaïque de ce que nous sommes. Il se vit dans son essence fondamentale, la chair. Cela se traduit par des tensions dans le corps et une surexcitation qui conduit à faire l’amour. L’amour du cœur n’est qu’une excroissance de l’amour du corps. Certes, il permet de juguler les excès de l’érotisme du corps, mais il peut aussi étouffer le fondement même de l’amour, le désir de transgresser les limites qui fond barrage à la toute puissance du désir.

 

L’amour se nourrit de son corolaire qu’est la haine. C’est entre les pôles opposés que s’écoule le mouvement de la vie. La dissolution de l’autre en soi ou de soi en l’autre n’est qu’une aspiration hors de portée. On l’approche parfois. Elle s’échappe aussitôt. La différence prend toujours le dessus. Celle-ci fait alors violence et pousse à la destruction de ce qui résiste. La sexualisation amoureuse de la rencontre est toujours une tentative de dissolution non aboutie. La surexcitation cherche alors à s’écouler dans l’imaginaire et dans la jouissance des corps.

 

L’amour peut-il être durable ?

Qu’il est difficile d’être en amour de façon durable, de maintenir ce sentiment amoureux des premiers moments de la rencontre, qu’il est difficile de vivre en couple en maintenant le désir ! La famille, les enfants, le travail, parfois la maladie, le stress vont prendre le dessus sur l’élan amoureux, sur le désir sexuel. L’arrivée d’un premier enfant marque souvent une rupture dans le désir. La femme se transforme et se concentre sur sa grossesse, l’homme désérotise la relation qu’il fuit ou bascule dans une sexualité de décharge. La femme lui en veut secrètement de ne pas lui manifester de la complicité et de la tendresse. La femme surinvestit alors son bébé. A la naissance de celui-ci, les aspirations profondes des ex amants ont bougé. Cela ne sera plus comme avant pour les partenaires. La grossesse, comme la naissance, réactualise pour les adultes leurs rapports primitifs d’enfants à leur propre mère. On n’en parle pas par manque de conscience de ce qui se joue. Peu de couples arrivent à dépasser la crise autour de la naissance. D’autres sauront se mobiliser pour retrouver le chemin du désir.

 

Ceci n’est qu’un exemple parmi tant d’autres d’un processus qui conduit à la désérotisation du couple qui ne sait plus transgresser l’ordinaire à travers l’érotisme amoureux et dépasser la banalisation de celui-ci. L’intimité se perd, le désir de réjouissance s’efface.

 

L’attachement restreint le désir.

L’attachement se nourrit aussi bien du plaisir de posséder que de la peur de perdre. Avec le temps, l’attachement s’oppose au désir et à l’excitation sexuelle. Il impose de la fixité. Il s’oppose au changement. Il crée des déséquilibres dans l’investissement érotique entre les partenaires. Ces déséquilibres font crise et précipitent peu à peu les amants dans le repli sur eux-mêmes. Mais, sans attachement, le sel de la transgression serait manquant.

 

Dans l’amour, dans la passion, l’autre devient unique. La peur de le perdre fait qu’il faut l’attacher. S’il est attaché, il n’y a plus de risque de le perdre, il n’y a plus de rival, il n’y a plus d’angoisse, mais il y a perte de l’excitation. Différentes formes de manipulation font que les partenaires ne se sentent plus libres et restreignent leur propre liberté au regard de leurs propres peurs à perdre l’autre ou à affirmer leurs désirs.

 

De là, naît le désir du détachement, le désir d’un autre, d’une autre, d’un autre espace de vie, d’une autre aventure. Nos désirs profonds n’ont que faire de l’attachement. Ils poussent au dépassement. Les amants naviguent entre la sécurité apportée par l’être aimé et le désir revivifiant de s’ouvrir à la nouveauté.

 

Les moteurs du désir.

Le désir est transgressif en soi. La poussée du désir ne supporte pas l’interdit. Il pousse au débordement. Il peut conduire à la perte de celui qui ne peut le contenir. Mais il est à écouter. Il contient des ressources, de l’énergie. Il se nourrit du plaisir imaginé. Il prend sa source dans les limites imposées à la sexualité de l’enfant qui doit se sociabiliser. La sexualité est taboue. On n’en parle pas à l’enfant. Celui-ci ne peut pas voir le corps nu de l’autre sexe. Il ne peut se montrer nu et montrer son sexe. Les grands font l’amour. Que de mystères ! De là, l’enfant va se charger de représentations autant angoissantes qu’excitantes qui génèreront des fantasmes. L’excitation sexuelle nourrie de l’angoisse va se greffer dans l’après coup sur nos élans vitaux fait de curiosité, d’exhibition de soi, de sadisme sur ce qui n’est pas conforme, de masochisme pour exister pour l’autre, mais aussi de culpabilité vis-à-vis de l’être aimé. Le monde fantasmatique de chacun sera le reflet de la capacité à triompher des angoisses, des traumatismes pour s’ouvrir au plaisir et à la jouissance. La créativité fantasmatique est sans limite. Quels que soient les fantasmes, on y retrouve les mêmes principes énergétiques comme le voyeurisme, l’exhibitionnisme, le sadomasochisme, la bisexualité, l’homosexualité, la zoophilie qui renvoie à l’inhumain, la transgression du tabou de l’inceste et tout ce qui transgresse le cadre étroit du couple, de la famille, etc.

 

Dans nos fantasmes de femmes et d’hommes, on retrouve fondamentalement l’attrait de la putain qui agit comme moteur de l’impatience de l’homme et qui donne à la femme sa toute puissance de jouisseuse et de donneuse de jouissance. Mais la peur d’être trompé, d’être abandonné peut venir également s’ériger comme un rempart au désir. La peur de l’infidélité active l’excitation ou engendre l’inhibition pour contrer une angoisse insupportable. Cela dépend du degré de complicité entre les partenaires et de la distance sur ce qui les anime. Dans le couple, la dualité entre la maman et la putain sera au cœur des processus d’excitation et d’inhibition. La jalousie sur un fond d’infidélité plus ou moins fantasmatique est un activateur nécessaire du désir.

 

Faut-il avoir peur de nos fantasmes transgressifs ?

Le fantasme nie la réalité, il la transforme. Il fonctionne dans la logique des significations primaires qui ont pris leur source dans les expériences archaïques de la petite enfance. Le fantasme masturbatoire (1) du petit enfant lui permet de calmer l’angoisse de la frustration à la mère et de maintenir un lien imaginaire avec celle-ci lors de son absence. Lors des retrouvailles, il peut l’accueillir puisqu’il ne la pas totalement perdu.

 

De l’expérience du bébé nait l’obsession d’une continuité première qui nous relie à l’être aimé. Cette inscription première donne aux hommes la force de vivre et de se développer dans un monde souvent inconfortable. Entre un être et un autre, il y a un abîme que nulle communication ne pourra supprimer, nous explique Georges Bataille, et pourtant nous  sommes agis  par une  sorte de fascination  à trouver cette continuité avec l’être aimé, porteur dans l’imaginaire de l’extase fusionnelle extatique, qui nous ouvre aux moments sacrés, qui nous donnent aussi le vertige de la mort. Quand on est dans l’amour, on éprouve le désir angoissé de faire durer ces moments qui pourtant ne peuvent être que passagers et périssables.

 

Cette fascination de continuité ouvre aux fantasmes plus ou moins conscients des adultes et invitent à la mobilisation pour combler de façon magique, par le fantasme, la différence entre soi et l’autre, son absence et ses insuffisances. Les fantasmes sont activés par l’angoisse de l’impossible et par le manque de l’autre soi-même. Ils sont au centre de l’excitation sexuelle et de l’érotisme conduisant au plaisir réjouissant.

 

Le fantasme a un caractère transgressif. En venant nier la réalité de l’ordinaire, le fantasme nous relie à l’amour de soi, à cette puissance narcissique où l’on est soi et l’autre en même temps. On est le metteur en scène d’une scène où nos désirs les plus obscurs, les plus archaïques, contraires à l’image du bien propre ou bien pensant, sont transcendés en images. Les personnages de la scène, représentants de nous-mêmes, montrent ce qui fonde nos désirs sexuels, et par extension nos comportements amoureux et nos rapports à l’autre.

 

Pourtant, le plus souvent, le fantasme est soit tenu secret, soit tenu à l’écart de la conscience. « Je n’ai pas de fantasmes » me disent certains clients ou clientes en début de thérapie. De part son caractère transgressif, il fait l’objet de conflits. La conscience morale et intelligible ne peut l’accueillir. L’organisme dépense alors beaucoup d’énergie pour l’étouffer, le maintenir sous le couvercle de la conscience. Certains clients somatisent. La pulsion ne peut se traduire que dans un passage à l’acte. L’espace de l’imaginaire érotique est absent. La créativité fait défaut. Le conflit entre les aspirations profondes qui restent enfouies et la réalité rencontrée conduit à la désérotisation, au repli sur soi ou à l’idéalisation d’une prochaine rencontre dénuée de réalité. Plus rarement, la digue qui protège du fantasme est rompue brutalement et c’est l’envahissement et le passage à l’acte dans la négation de l’autre.

 

Le couvercle qui recouvre nos fantasmes les plus profonds sera souvent à la source de nombreux dysfonctionnements sexuels tels que la perte d’érection, le vaginisme, les difficultés orgasmiques et plus largement le manque de jouissance pour soi et de réjouissance avec l’autre.

 

C’est ainsi que j’ai pu, par exemple, dans la clinique de la thérapie, rencontrer des femmes qui ont pu s’ouvrir à l’orgasme dans la pénétration dès lors qu’elles ont pu accueillir des fantasmes d’inceste, de zoophilie ou sadomasochistes. De même, pour des hommes l’avènement de fantasmes phalliques, anti-fusionnel et agressifs leur a permis d’affirmer leur érection ou de créer les conditions d’une réelle jouissance avec la partenaire.

 

Cela semble vouloir dire que le fantasme est la panacée pour la relation. Pas vraiment ! Lorsqu’il advient à la conscience, le fantasme nie la différence de l’autre, le fait entrer inconditionnellement dans son propre désir et s’oppose à l’ajustement. Les corps sont magnifiques ou conformes à ses propres préférences érotiques, les situations ne supportent pas les limites. Les représentations fantasmatiques sont projetées sur l’autre qui ne peut être perçu et approché dans sa propre réalité. Dans le fantasme, l’excitation et la jouissance sont puissantes ; dans la réalité, l’ajustement des corps et des cœurs ne va pas de soi et nécessite une bonne dose d’engagement et de complicité entre les partenaires pour créer les conditions de la jouissance.

 

Le fantasme est le moteur du dépassement.

Il désigne le lieu de l’immuabilité, de l’immortalité, du déni des sexes séparés. Cela crée un souffle de désir pour transgresser ce qui s’oppose à soi, en agressant l’autre. La transgression qu’il exprime entretient et renouvelle, pour un temps ou longtemps, le feu du désir. C’est la fonction des fantasmes que de donner l’énergie pour combler l’écart entre la toute-puissance du désir et la réalité de l’autre qui ne peut y répondre de façon absolue. Et pourtant cette réalité est bien là. Ne pas la prendre en considération, c’est s’exposer à bien des difficultés. Le fantasme dans l’amour est à prendre comme un facteur de jeu. Il est nécessaire, mais il doit être contenu pour permettre un ajustement aux fantasmes de l’autre. La créativité fantasmatique à deux nécessite des codes et des règles définis ensemble. Si ces règles sont dépassées, les amants s’excluent. Dans certains sports, on s’engage réellement avec toute l’intensité dans le respect de l’autre. On a des règles du jeu. Si on ne les respecte pas, on est mis hors jeu. La transgression dans l’amour est à prendre comme un jeu. Elle crée de la vie. Elle implique du discernement.

 

La communication érotique s’apprend.

Beaucoup de couples vivent dans une profonde indifférence ou dans une absence totale d’intimité. Parler de soi, se livrer à l’autre est un trop grand risque. Exprimer le fait que l’on n’est pas satisfait sexuellement ne peut se dire de peur de passer pour un obsédé. Beaucoup de couples ne peuvent partager leurs fantasmes parce qu’ils n’y ont pas accès ou parce qu’ils les vivent dans le secret. Le partage et le sentiment d’être accueilli dans les parties de soi les plus intimes, amoureuses et hostiles à la fois nécessitent le lâcher-prise par la distance avec la culpabilité qui entoure la sexualité. La communication érotique ne va pas de soi, elle s’apprend.

 

Dans la sexualité, l’autre ne serait qu’un prétexte pour décharger la tension en soi activée par ses préférences érotiques engrammées dans le vécu infantile et les expériences de découverte de la sexualité. Mais l’autre est en même temps un miroir narcissisant de ce que nous sommes et vient réassurer l’amour de soi à travers l’amour qu’il manifeste. Accueillir l’idée que la sexualité à deux serait deux auto-érotismes amplifiés par la reconnaissance de soi par l’autre, remet en cause bien des idées autour de la sexualité. L’égocentrisme bien compris permet alors d’affirmer ce qui pousse en soi dans l’acceptation de la différence de l’autre.

 

De nombreux écueils viennent entraver la réjouissance dans le couple. Je n’en citerai que quelques-uns :

La personne est dépossédée au profit de l’autre de son pouvoir de jouissance. Elle est centrée sur l’autre.

L’investissement uniquement esthétique de l’amour et du corps de l’autre conduit à une forme de fétichisation de l’autre ou de parties de son corps.

Les difficultés à se projeter positivement dans le désir de l’autre. (Dans l’amour, l’excitation nait de son propre désir et de la projection du désir imaginé de l’autre pour soi).

Les difficultés à accueillir que l’amour est d’abord un autoérotisme de contact à deux.

Les difficultés à pouvoir mobiliser son agressivité sexuelle et à la manifester dans une position active.

Les difficultés d’un ajustement à deux, fait à la fois d’agressivité et de réceptivité, pouvant libérer la puissance orgasmique des deux partenaires.

 

L’érotisme demande à ce que les aspects les plus profonds de soi restent ouverts à l’autre, dans une démarche intime et complice.

 

L’intensité du risque dans la transgression.

Ecouter ses désirs, les assumer et composer avec l’autre est un gage de vitalité pour le couple. Choisir sa manière de vivre sa sexualité, selon ses aspirations profondes et les moments de sa vie, est une démarche libertine. Chacun est suffisamment en accord avec lui-même tout en s’ajustant suffisamment à l’autre, à cet autre dont on a tant besoin pour jouir. Les amants ont à inventer leur propre création pour vivre un couple érotique. Cette démarche s’inscrit dans la transgression du réel en se donnant l’intensité du risque, sans que celui-ci existe vraiment.

 

Dans sa version d’origine, le libertin est un libre penseur ou libertin d’esprit qui s’affranchit des dogmes établis venant aussi bien de la société que des religions. Cette liberté est forcément étendue à la liberté de penser et de vivre sa sexualité, sexualité qui dépasse les limites de la morale conventionnelle. Il ne s’agit pas de se focaliser sur l’échangisme ou à la sexualité de groupe, il s’agit d’être en accord avec ses propres préférences érotiques et suffisamment avec celles du partenaire, dans un cadre de réjouissance codifiée où l’idée et la mise en acte de la transgression est présente.

 

Pour de nombreux couples, l’infidélité a cette fonction transgressive que les partenaires ne peuvent créer dans leur couple englué dans les contraintes familiales. Pour certains, avoir de temps en temps des rapports coquins avec un ami, une collègue de bureau leur donne un sentiment d’aventure mêlé d’angoisse qui les vivifie et vivifie par la-même la relation conjugale. Mais il est rare que cela n’entraine pas de la souffrance. D’autres couples ayant appris que le partenaire les trompait vont après la crise se retrouver très forts avec beaucoup de désir. Beaucoup ne s’en relèveront pas.

 

Le libertinage peut être un moyen très fort de maintenir le désir de vivre des moments extraordinaires. Certaines personnes m’ont dit que, malgré les risques ou les petits moments d’anxiété qu’elles ont traversés, elles ne pourraient plus revivre dans le cadre étroit du couple traditionnel. Le caractère transgressif de leurs rencontres libertines donnait un goût fort à leur vie. En apportant le piment du désir, cela vivifiait l’amour et renforçait la gratitude pour l’autre à vivre des moments extraordinaires.

 

Pour d’autres couples, la liberté résidera dans le jeu, dans la fantaisie sexuelle, dans la capacité à se donner des rendez-vous sexuels en assumant leurs désirs et leurs fantasmes. Les fantasmes ne sont pas la réalité. Ils n’ont aucune limite dans leur production imaginaire. Leur mise en acte les transforme dans un mouvement d’ajustement réciproque et de créativité.

 

Sans une réelle complicité et un accordage érotique suffisant, la mise en acte de fantasmes fortement transgressifs peut conduire à l’insécurité d’un ou des deux partenaires et donner lieu à des crises faites d’angoisses, de reproches, de fermeture et de violence parfois. Le retournement triomphant de l’angoisse dans une excitation de jouissance ne fonctionne pas. La sexualité n’est pas choisie dans le respect des limites et des ressources de l’autre. Le couple est alors en péril.

 

Les mots du sexe sont transgressifs.

« J’aime être baisée, je veux ta queue. Baise-moi comme une salope. Je suis ta putain, fais-toi du bien en moi. Fais-moi prendre par plein d’hommes. Je veux que tu me regardes lécher une autre femme. J’ai envie d’être prise par ton copain. J’aimerais faire l’amour sur un parking, dans des WC publics et que l’on nous regarde. »

 

« Tu es ma petite garce. J’aime la salope en toi. Montre-moi ton cul, ta chatte. Prends ma bite dans ta main. Tu aimes ça. J’aime te prendre en levrette comme une putain. J’aime l’odeur de ton cul. Tu es ma petite chienne … »

 

Les mots qui s’expriment dans la sexualité, sortis de leur contexte érotique, font mal aux oreilles. Ce sont des gros mots. Il n’y a qu’à regarder des enfants dire des gros mots ou des adultes sortir des plaisanteries grivoises pour mesurer la charge d’excitation qu’ils contiennent. Les mots ont une valeur symbolique. Ils sont portés par des affects. Les mots du sexe expriment une dynamique érotique qui prend forme dans l’archaïque. Ils se nourrissent de symboles proches du corps et de la nature première de l’enfant. Pour les recevoir de l’autre, il faut parler le même langage. Ces mots considérés comme vulgaires peuvent être accompagnés de gestes et de mots d’amour pendant ou après. Mais ce n’est pas toujours nécessaire. La communication érotique est sur un autre registre, incompréhensible pour celui qui n’en possède pas les codes.

 

La transgression demande de bien se connaître.

Pour pouvoir affirmer ses désirs à l’autre, il faut d’abord les reconnaître en soi. La réappropriation de ses désirs est la première étape pour une vraie communication. Ce n’est pas évident a priori, puisque les désirs sont rarement convenables. La peur du jugement de l’autre vient renforcer la honte en soi et rend la communication érotique difficile. Certes, il n’est pas question de tout dire à n’importe quel moment. Il s’agit d’apprendre à se dire à l’autre, à dire l’essentiel de ce qui se joue et bouge en soi. Les partenaires doivent choisir la forme et le moment pour communiquer à partir de l’intime en soi.

 

Libérer son imaginaire érotique.

En thérapie personnelle ou de couple, par l’ouverture à l’imaginaire par le rêve éveillé et l’exploration des fantasmes les plus archaïques, les partenaires accèdent dans un langage inconnu à des aspects de leur personnalité profonde.

 

Lorsque la personne se lâche dans l’imaginaire, les images affluent. Leur incohérence s’offre pour la personne comme un espace transitionnel qui permet un premier mouvement vers la représentation de ce qui se joue en soi. Certains pans de la vie psychique qui ne peuvent accéder à la conscience, donc qui ne peuvent pas être à la disposition du sujet, prennent forme et peuvent être mentalisés. Ces formes nouvelles émergentes possèdent des potentialités créatives pour la personne. Lorsqu’elles sont bien intégrées, elles lui donnent de la distance et par là même une certaine possibilité à en jouer. En faisant évoluer la dynamique de ses rêveries, la personne accède à de nouvelles ressources qu’elle pourra mobiliser vers le changement.

 

Dans l’exploration fantasmatique, la mise en parole des fantasmes leur donne une forme communicable. L’image prend un sens symbolique (2) qui contient des éléments de la dynamique érotique de la personne. En restant à l’intérieur d’un cadre (3), la pulsion et ses représentations peuvent être accueillies tout en étant contenues par la mise en mots et par l’écoute d’un autre, thérapeute ou partenaire. Par son questionnement, le thérapeute ou le partenaire co-construit de nouveaux espaces psychiques. Dans ce travail, on retrouve la fonction maternelle contenante passive, où l’affect est contenu par l’écoute d’un autre, et la fonction paternelle active, où l’expérience est mise en langage. Ces deux fonctions qui coexistent, sous-tendent l’expérience qui mêle l’imaginaire, l'affect et la verbalisation.

 

Vivre au plus près de ses fantasmes.

Vivre au plus près de ses fantasmes avec un autre est déjà en soi un défi. Oser partager ses fantasmes, c’est une façon de s’accueillir tel que l’on est au fond en créant de la nouveauté avec l’autre différent. Les différences sont autant d’ordre culturel que conjoncturel. Elles ont pris forme dans le vécu singulier de chaque personne. Mais la trame de fond reste pour l’essentiel similaire. Chaque enfant a dû se séparer de la mère, traverser le clivage entre l’amour et la haine de la mère, éprouver de la culpabilité à vouloir la détruire et se confronter à l’interdit de l’inceste. Lorsque les constructions fantasmatiques des amants issues de cette trame convergent suffisamment, ils éprouvent de l’amour. L’amour est d’abord réjouissance dans l’éprouvé d’une rencontre de désirs.

 

Inventer son couple invite à la transgression.

L’accordage érotique dans le couple repose sur la capacité de chaque partenaire à être conscient de ce qui pousse en lui, à se dévoiler, à libérer l’imaginaire réparateur des angoisses existentielles de fond, à accueillir et à codifier la différence créatrice de nouveauté. Il découle de l’engagement et de l’agressivité nécessaires pour la création des moments extraordinaires qui se nourrissent de la transgression de la vie ordinaire. Il ne faut pas croire que cela coule de source pour les amants, à chaque moment de la vie. L’anxiété ou le repli sur soi, nés du désaccordage, sont parfois inévitables. Revenir dans le contact implique pour les amants de pouvoir se mobiliser en direction de l’autre afin de créer ensemble les voies d’évacuation de la tension et l’ouverture à la réjouissance.

 

Les moments d’accordage profonds dans le couple sont nécessaires pour vivifier, renouveler, amplifier le désir. Même si la pérennité du couple n’est pas une fin en soi, toutes les personnes vivant des moments extraordinaires dans la réjouissance avec l’autre aspirent à pérenniser la relation et à continuer à éprouver l’immense gratitude qu’elle génère. La pérennité de l’amour, fort de son brin de passion et de folie, passent par l’écoute profonde des moteurs de l’érotisme, moteurs qui sont multiples et qui varient au fil du temps. On les retrouve dans nos fantasmes. La diversité des fantasmes exprime la diversité des  constructions érotiques. Celles-ci  expriment les principes moteurs de la dynamique humaine. Elle trouve sa ressource dans le retournement triomphant des traumatismes de la vie qui jalonnent le développement de l’enfant et qui se réactualisent chez l’adulte en quête d’amour. Regarder ces constructions, c’est se regarder dans ses aspects pluriels et c’est regarder l’humain dans sa diversité.

 

L’amour et la sexualité ne sont bien sûr que des moments extraordinaires auxquels nous aspirons et qui font un bien fou. Mais aucune doctrine du bonheur ne peut apporter les réponses recherchées tant celles-ci dépendent de la diversité des vécus et des points de vue.

 

(1) Selon Mélanie Klein, l’enfant vient contrer la perte des bouts de mère par le fantasme masturbatoire fait de caresses apaisantes (le doudou) et de représentations imaginaires (vocales, visuelles, odorantes…) et éprouver ainsi de la jouissance.

(2) Action de symboliser, de représenter par des symboles. Le symbole est le représentant de l’objet manquant et lui donne ainsi une forme. L’image de la rêverie, comme le mot, servent de support à ce qui reste inachevé ou en suspend et qui ne peut émerger à la conscience que par la fonction symbolique.

(3) Le cadre thérapeutique permet d’expérimenter en toute sécurité. Le cadre du couple est fait de code qui assure la sécurité des partenaires qui peuvent se permettre d’être eux-mêmes tout en considérant l’autre.

 

 

 

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